Qu’est qu’une marque ? Illustration avec le cas « Je suis Charlie »
Auteur : Laurent GROS
« Depuis le 7 janvier, l’INPI a reçu de nombreuses demandes de marques « Je suis Charlie », ou faisant référence à ce slogan.
L’INPI a pris la décision de ne pas enregistrer ces demandes de marques, car elles ne répondent pas au critère de caractère distinctif.
En effet, ce slogan ne peut pas être capté par un acteur économique du fait de sa large utilisation par la collectivité. »
Source : Communiqué de presse de l’INPI en date du 13 janvier 2015 :
http://www.inpi.fr/fileadmin/mediatheque/pdf/Presse/CP_INPI_Marque_Je_suis_Charlie.pdf
C’est par ce communiqué de presse lapidaire que l’INPI a mis fin aux espoirs de plus de 50 personnes (pour ne pas dire de purs opportunistes…) qui, attirées par l’appât du gain, avaient tenté de déposer la marque « Je suis Charlie » en espérant monnayer l’utilisation de ce slogan.
Cette affaire n’est pas sans rappeler certains précédents. Un particulier avait par exemple déposé la marque « Allez les bleus » en 1997, quelques mois avant la Coupe du Monde de Football de 1998 remportée par l’Equipe de France : http://www.ouest-france.fr/sport-allez-les-bleus-un-slogan-qui-vaut-cher-3110038
Selon, l’INPI la marque « Je suis Charlie » ne répond pas au critère de caractère distinctif nécessaire pour valider le dépôt d’une marque.
Une marque doit être « distinctive »
L’aptitude d’une marque à distinguer les produits et les services est une exigence des articles L. 711-1 et L. 711-2 du Code de la Propriété Intellectuelle et l’article 7.1 du Règlement CE n° 40/94 sur la marque communautaire.
La marque doit pouvoir être identifiée par le public visé comme jouant le rôle d’une marque.
Pour cela, la marque doit être distinctive au regard des produits et services concernés et non simplement descriptive. Sont notamment exclus les noms génériques, les noms réduits à la seule désignation d’une caractéristique du produit ou service, ou encore les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle.
En tout état de cause, l’appréciation du critère distinctif est éminemment subjective et repose sur une analyse « au cas par cas ». L’appréciation varie selon le public visé, les produits ou services désignés pour le dépôt ou encore la langue maternelle des consommateurs, etc.
Une marque doit être « disponible »
Au-delà du « critère distinctif », il faut s’assurer que le signe choisi pour devenir une marque est disponible. C’est ce que l’on appelle la « disponibilité d’une marque ».
En effet, le Code de la propriété intellectuel énonce que ne peut être adopté comme marque, un signe portant atteinte à des droits antérieurs.
Il est donc nécessaire de procéder à une recherche des antériorités et similarités auprès de l’INPI avant de procéder à tout dépôt de marque.
Quid de la validité du dépôt de marque « Je suis Charlie » ?
L’argument offert par l’INPI pour refuser le dépôt de la marque « Je suis Charlie » est douteux. En effet, l’INPI n’explique pas en quoi cette marque serait « non distinctive ».
La marque « Je suis Charlie » n’est pas dans le langage courant ou professionnel. Elle n’est pas non plus la désignation nécessaire, générique ou usuelle de produits ou services. Enfin, elle n’est pas non plus un signe pouvant servir à désigner la caractéristique d’un produit ou d’un service ni un signe constituant la forme d’un produit ou lui conférant sa valeur substantielle.
A priori, la marque semble donc répondre aux différents critères de distinctivité.
Au-delà de cette première difficulté, c’est la méthode qui étonne. En effet, l’INPI rejette purement et simplement l’ensemble des dépôts sans aucune autre forme d’analyse.
Or, comme nous l’avons précisé ci-dessus, chaque dépôt doit être apprécié et analysé de manière individuelle en fonction des produits et services visés par le dépôt de la marque. Ici, l’INPI procède à un refus pur et simple des dépôts, sans analyse au cas par cas.
En l’espèce, il semble que l’INPI a agi de la sorte pour couper court à toute velléité de dépôt de la marque « Je suis Charlie » et empêcher à certaines personnes de détourner ce slogan à des fins purement mercantiles.
Si les intentions sont louables, la méthode et l’argument juridique retenus sont plus discutables.
Enfin, pour être tout à fait complet, nous préciserons que l’auteur du slogan a lui-même a refusé toute protection sur sa création en précisant sur son compte Twitter : Le message et l’image sont libres de toute utilisation en revanche je regretterais toute utilisation mercantile.
Une telle prise de position renvoie à la notion de copyleft (ou gauche d’auteur) à savoir : l’autorisation donnée par l’auteur d’une œuvre soumise au droit d’auteur d’utiliser, de modifier et de diffuser cette œuvre, dans la mesure où cette même autorisation est conférée à l’ensemble des utilisateurs.
Vous avez des questions ? Vous souhaitez déposer une marque ? Vous vous interrogez sur le critère distinctif de votre marque ? N’hésitez pas à revenir vers nous ou à réagir dans les commentaires.
A propos de l'auteur
Juriste senior en Droit des affaires, il traite au sein du Cabinet de toute thématique de droit des contrats, droit commercial, droit des sociétés et droit de l’informatique et des nouvelles technologies (NTIC). Bien plus, son champ d’expertise englobe le droit des sociétés coopératives et le droit des structures de l’économie sociale et solidaire.
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